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Communiqué du Conseil de l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale

Assemblée pastorale du 1er novembre 2004

Une réunion pastorale du clergé de l'Archevêché des paroisses de tradition russe en Europe occidentale s'est tenue à l'institut Saint-Serge, à Paris, le 1er novembre dernier. La réunion a été précédée par la célébration de la Divine Liturgie, à 7 h 30, en l’église Saint-Serge, sous la présidence de S. Em. l’Archevêque Gabriel, entouré des prêtres de la paroisse Saint-Serge. Au total une soixantaine de prêtres et diacres ainsi que les membres laïcs du conseil de l'Archevêché, des professeurs de l’Institut Saint-Serge et certains responsables laïcs de paroisses et de mouvements, invités par le conseil diocésain, ont pris part à cette rencontre qui avait pour thèmes “Le sens de la tradition russe” et “La nature de l’Eglise et sa manifestation aujourd’hui”.

L’Archevêque Gabriel a ouvert la rencontre, à 10 h 20, en évoquant la lettre du patriarche de Moscou Alexis II, datée du 1er avril 2003, et les débats qu’elle a provoqués dans les communautés orthodoxes d’origine russe en Europe occidentale. A la suite de cette lettre, on a vu poindre “une inquiétude chez certains fidèles concernant la fidélité et le respect de la tradition orthodoxe russe dans nos paroisses”, a-t-il constaté. “S’est aussi exprimée une inquiétude concernant l’avenir de l’Archevêché”, a-t-il continué, ce qui a conduit à la création par un groupe de laïcs de l’association OLTR (“Orthodoxie locale de tradition russe”) qui entend œuvrer à la mise en place des propositions contenues dans la lettre du patriarche de Moscou. “C’est de ces problèmes, qui concernent la vie et l’avenir de notre diocèse, dont nous voulons parler aujourd’hui, ouvertement et calmement conformément à la tradition de notre diocèse”, a-t-il ajouté, avant d’introduire les sept communications prévues au programme. Un dossier rassemblant une série de documents et textes sur le thème de l'organisation canonique de l'Eglise orthodoxe en Occident (en russe et en français) avait été préparé par l'Administration Diocésaine à l'intention des membres de l'Assemblée Pastorale et a été distribué.[1]

Trois communications ont été présentées, lors de la session du matin, sur “Le sens de la tradition russe”. Le père Wladimir Yagello, recteur de la paroisse Notre-Dame-du-Signe, à Paris, a rappelé que l’unité en Christ ne signifie pas pour autant l’uniformité, d’où l’existence de traditions particulières aux différentes Eglises et qui transmettent le “génie propre” de chaque peuple christianisé. Il a ensuite défini le caractère spécifique de la tradition russe dans des domaines aussi variés que la liturgie, la théologie, le chant ecclésial, l’icône, le résumant à deux éléments : “fidélité à la Tradition” et “esprit d’ouverture”. Il a également insisté sur l’importance de la piété populaire russe, caractérisée par un “souci de la bonne ordonnancedes célébrations” et un attachement à l’utilisation du “slavon [qui] est à la langue russe ceque l’icône est à la peinture profane”. Le diacre Nicolas Lossky, professeur à l’Institut de théologie Saint-Serge et clerc du diocèse de Chersonèse (patriarcat de Moscou), a souligné la “vocation missionnaire” propre à la tradition russe. Du fait de cet esprit missionnaire, il y a une “absence totale de nationalisme dans la tradition russe”, a-t-il dit, en même temps qu’il y a une capacité à “distinguer le fondamental” — le message de l’Eglise du Christ — “du secondaire” — les formes d’expression que ce message peut prendre suivant le temps et le lieu. La troisième communication a été présentée par Nikita Struve, professeur émérite de l’université Paris X – Nanterre et membre du conseil de l’Archevêché, qui a posé trois postulats paradoxaux. Premièrement, “il n’y a pas de tradition russe, grosso modo”, dans la mesure où elle s’inscrit dans l’héritage chrétien syro-byzantin sans rien lui ajouter. Deuxièmement, “il y a plusieurs traditions russes”, du fait de la scission dramatique qui a coupé l’Eglise russe au 17e siècle, lors du schisme des vieux-croyants, entre ceux qui gardèrent les pratiques russes anciennes, et ceux qui, appliquant les réformes du patriarche Nikon, adoptèrent les usages grecs. Enfin, a-t-il affirmé, “il y a une tradition spécifique à notre diocèse”, laquelle “s’inspire de la période préparatoire au concile de Moscou de 1917- 1918 et des travaux mêmes du concile” et qui “est et doit rester la nôtre”. “L’Archevêché est la seule entité ecclésiale de tradition russe, avec l’Eglise orthodoxe en Amérique (OCA), à appliquer les statuts du Concile de 1917-1918”, a-t-il souligné. De ce fait, a-t-il déclaré, “notre Archevêché a une mission ecclésiale très importante, c’est ce qui doit diriger nos attitudes et cimenter notre unité”.

La session de l’après-midi a été consacrée au thème “La nature de l’Eglise et sa manifestation aujourd’hui”. Michel Stavrou, assistant à la chaire de dogmatique à l’Institut Saint-Serge, a décrit les principes de l’ecclésiologie eucharistique : la plénitude de l’Eglise se manifeste dans l’eucharistie célébrée en un lieu donné autour de l’évêque, avant de contester le bien fondé de certaines approches qui tendent à faire des Eglises locales de simples parties de l’Eglise universelle. “Une ecclésiologie universaliste est contraire à l’ecclésiologie orthodoxe”, car elle rompt “l’égalité ontologique absolue de tous les évêques entre eux”. La “crise ecclésiologique” que connaît aujourd’hui l’orthodoxie rend urgente une prise de conscience de ces enjeux, afin que la conciliarité soit véritablement vécue dans l’Eglise, a-t-il poursuivi, avant de donner quelques exemples d’incohérence, du point de vue de l’ecclésiologie, dans la pratique actuelle de certaines Eglises. Le père Job Getcha, professeur à l’Institut Saint-Serge, a montré, pour sa part, comment, dans la tradition canonique du 1er millénaire, l’Eglise locale est identifiée au diocèse, dont la personne centrale est l’évêque. La question ne se pose pas de savoir si l’Archevêché est ou non une Eglise locale, a-t-il dit, car, dans la mesure où il s’agit d’un diocèse canoniquement constitué, avec à sa tête un évêque diocésain légalement élu, “l’Archevêché est d’ores et déjà une Eglise locale”. Le problème qui se pose tient à l’existence de diocèses parallèles, basés sur des critères ethniques. Toutefois, dans la mesure où elle concerne la vie de plusieurs diocèses, cette “situation anormale” doit être résolue, non pas par une Eglise, seule dans son coin, mais de manière conciliaire, par l’ensemble des Eglises concernées, a-t-il poursuivi.

Dans une communication intitulée “De la diaspora à l’Eglise locale”, le père Nicolas Osoline, professeur à l’Institut Saint-Serge, a remis en cause le bien fondé du terme de diaspora, dans la mesure où “la structure ecclésiale exclut la notion même de diaspora”. Plutôt que de“diaspora”, il convient de parler d’une “Eglise en mission”, dont l’objectif sera d’arriver à un statut d’autocéphalie qui viendra remplacer les structures temporelles. “Bien des problèmes disparaîtront alors”, a-t-il encore estimé, soulignant que “notre Archevêché est le seul libéré de tout embarras du choix pour son futur. Il faut en devenir conscient et mettre en acte sa vocation d’Eglise locale”. De son côté, le père Jean Gueit, recteur de paroisses à Nice (Alpes- Maritimes) et à Marseille (Bouches-du-Rhône), a montré comment l’équilibre nécessaire entre la primauté et la conciliarité doit se retrouver à tous les niveaux de la vie ecclésiale. “Aujourd’hui, cet équilibre doit se refléter au niveau pan-orthodoxe”, où l’on sent bien que “la conciliarité bat de l’aile”, à cause notamment de la question controversée de la primauté de Constantinople. C’est là un problème qui doit pouvoir être discuté, a-t-il affirmé. L’autre problème est lié à la superposition de juridictions sur un même territoire et qui, aujourd’hui, “ne peut être justifié”, comme ne peut être justifié le principe qui le sous-tend, à savoir la revendication par les différentes Eglises territoriales d'une obédience directe sur leurs ressortissants nationaux, dispersés dans le monde.

Les communications du matin et de l’après-midi ont donné lieu à un très large débat. Concernant la tradition russe, il a été souligné, au cours des échanges, que cette dernière n’était nullement remise en cause ou dénigrée au sein de l’Archevêché. C’est faire un mauvais procès que de vouloir opposer partisans de l’usage du slavon et ceux du français dans les célébrations liturgiques, ou encore des soi-disant “modernistes” et des “conservateurs”. L’Archevêque Gabriel a tenu à rappeler que “nous appartenons tous à une Eglise de tradition russe. En œuvrant dans l’Archevêché nous acceptons tous cette tradition. Il faut le savoir, car c’est ce que nous avons de plus cher”. Il a évoqué l’équilibre toujours difficile entre tradition et modernité dans la vie liturgique. Tout en demandant que soient respectées les initiatives qui peuvent être prises dans telle ou telle paroisse pour “approfondir le sens de la vie liturgique” dans une optique pastorale, il a rappelé qu’il n’était pas question d’introduire de quelconques “expérimentations”. Il a aussi fait remarquer que certaines mesures mises en place en la matière, sous ses prédécesseurs, devraient être réétudiées, car elles posent des problèmes d’ordre pastoral.

Concernant la question de l’Eglise locale et de l’avenir de l’Archevêché, tout en affirmant que “sans nos évêques nous ne pouvons rien faire”, l’importance qu’il y a à tenir compte de l’avis des laïcs a été soulignée. On a insisté sur la nécessité de voir les “représentants de toutes les Eglises” débattre des problèmes de l’organisation ecclésiale en Occident. On a aussi estimé qu’“il est indispensable que les primats des Eglises orthodoxes prennent davantage conscience du problème de la diaspora” et se sentent concernés “non seulement pour leurs propres fidèles en Europe occidentale, mais pour l’ensemble du peuple orthodoxe vivant en Occident”. Séraphin Rehbinder, président de l’OLTR, a constaté que les vicissitudes de l’Histoire qui avaient conduit l’Archevêché à se séparer “d’autres parties de l’émigration russe” n’existaient plus et qu’il y avait plus à attendre du projet du patriarcat de Moscou que de la “greffe avec le patriarcat de Constantinople” qui “ne nous apporte pas beaucoup de sève”. A l’inverse, plusieurs intervenants se sont élevés contre toute modification du statut canonique actuel de l’Archevêché qui conduirait, selon eux, à l’éclatement du diocèse. À ce propos, Mgr l’Archevêque Gabriel a affirmé que la consultation qu’il avait effectuée depuis son élection, lors de ses visites dans les paroisses, non seulement à Paris, mais aussi en province et à l’étranger, “a montré, dans l’ensemble, que, si nous voulons garder l’unité de l’Archevêché, nous ne devons pas commencer une aventure juridictionnelle”. Il a également fait remarquer qu’un centre de dialogue entre les évêques existaient déjà en France, avec l’Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF), mise en place conformément auxdécisions de la commission préconciliaire préparatoire pan-orthodoxe de Chambésy, en 1993.

Il a annoncé qu’une délégation de l’AEOF devait se rendre en visite auprès des différentes Eglises autocéphales, la première série de visite devant avoir lieu, du 19 au 25 novembre, aux patriarcats de Constantinople, à Istanbul, et d’Antioche, à Damas À la fin de la journée, Michel Sollogoub, secrétaire du Conseil de l’Archevêché, a fait une brève synthèse des travaux. Première constatation qu’il en a tirée, la sérénité du ton et la richesse des échanges, qu’il convient maintenant de faire partager dans les paroisses, a-t-il dit. Deuxième constatation, concernant la tradition russe, il n’y a pas de rejet de cette tradition de la part de l’Archevêché d’une manière générale : “La tradition russe, nous la portons, nous l’aimons et la chérissons, c’est à travers elle que nous avons reçu notre foi”, a-t-il affirmé. Parallèlement, la rencontre a montré qu’il existe une tradition spécifique à l’Archevêché, héritée de son histoire, qui peut être caractérisée par un attachement à la dimension conciliaire et à la liberté dans l’Eglise, deux dimensions qui sont “rarement vécues ailleurs que chez nous”. Michel Sollogoub s’est félicité qu’un débat ait pu être ouvert et que l’on ait entendu des avis contradictoires, mais, a-t-il rappelé, “dans l’Eglise, le débat ne se règle pas par la polémique”. “Nous devons approfondir notre compréhension du sens de l’Eglise et, faisant cela, rechercher l’unité ecclésiale dans l’actualisation même du sens de l’Eglise”, a-t-il poursuivi, avant d’annoncer que, dans le prolongement de cette journée pastorale, serait organisée une conférence diocésaine, ouverte à tous les fidèles, afin d’approfondir le sens de la vie en l’Eglise.

La rencontre s’est achevée, à 18 h, par la célébration des vêpres, dans l’église Saint-Serge.

note [1] : Parmi les textes rassemblés figurent un article du Père Alexandre Schmeman sur “Eglise, émigration, nationalité”, le message de l'Assemblée Générale de l'Exarchat de 1949, le rapport du Professeur Serge Verkhovskoy sur l'organisation canonique de la diaspora lors de cette même assemblée, le discours de l'Archevêque Georges d'Eudociade devant l'Assemblée Pastorale de 1981, le Tomos patriarcal et synodal rétablissant l'Archevêché à son rang d'Exarchat en 1999. En annexe sont reproduits : un extrait des propositions présentées officiellement par le Patriarcat de Moscou à la Commission de préparation préconciliaire panorthodoxe en vue du règlement du problème de la diaspora, le texte sur la diaspora orthodoxe adopté par la commission préparatoire préconciliaire de Chambésy en 1993, la lettre du Patriarche de Moscou du 1er avril 2003, une lettre du Patriarche de Moscou Alexis II au Patriarche œcuménique datée du 6 août 2003, des extraits du rapport du Métropolite Cyrille de Smolensk devant l'Assemblée des évêques du Patriarcat de Moscou en octobre 2004. (L'ensemble de ce dossier est disponible à toute personne qui en fera la demande auprès de l'Administration Diocésaine en précisant la langue, - français ou russe- du dossier souhaité).

Communiqué N° 57 du Conseil de l'Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale

 

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