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Exaltation de la sainte et vivifiante Croix

Homélie de Père Antoine, 14 septembre 2014 - Exaltation universelle de la vénérable et vivifiante Croix, Jn XIX,6-11,13-20,25-28,30-35

Nous venons de lire le récit un peu abrégé de la Passion de Jésus.
Il nous montre comment Jésus subit le supplice de la croix inventé par les romains pour les esclaves…

Cet évangile nous raconte autrement dit un échec, celui de Jésus. Ce récit douloureux nous laisse comme un goût amer. On a l’impression que tout est raté ; toute la mission de Jésus n’a conduit qu’au précipice de la croix. Les disciples ont disparus, notre texte n’en parle plus si ce n’est de celui qui est au pied de la croix avec la mère de Jésus. C’est toute une mission qui a échouée.
Alors posons-nous la question : Où se cache le mystère ? En quoi un échec peut-il être glorieux et source de vie. En quoi la croix me concerne-t-elle aujourd’hui ?
La lettre aux Corinthiens que nous entendions précédemment en donnait la signification :

Saint Paul proclame le grand paradoxe chrétien que nous avons si souvent entendu qu'il a peut-être cessé d'être pour nous le choc renouvelant qu'il devrait être : «...Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde? ... Nous prêchons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens... Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu... Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes».

De son coté, Le saint et grand hymnographe André de Crête va plus loin :
« En effet, dit-il, s'il n'y avait pas eu la Croix, le Christ n'aurait pas été crucifié, la vie n'aurait pas été clouée au gibet et les sources de l'immortalité, le sang et l'eau qui purifient le monde, n'auraient pas jailli de son côté ; le document reconnaissant le péché n'aurait pas été déchiré, nous n'aurions pas reçu la liberté, nous n'aurions pas profité de l'arbre de vie, le Paradis ne se serait pas ouvert ! S'il n’y avait pas eu la Croix, la mort n'aurait pas été terrassée, l'Enfer n'aurait pas été dépouillé de ses armes ».

Dans un bel article, Jean-François Colossimo parlait sur la vie monastique. Après avoir décrit les pièges que rencontrent le moine ou la moniale, J’ai aimé la réponse qu’il donnait à la question : Sont-ils nombreux à parvenir ? « La plupart des moines échouent. Mais ce n’est pas grave. Je dirais même que la manière dont on ne va pas y arriver, réussir, est primordiale. Parce que l’échec lui-même devient une proximité avec Dieu, la grande leçon du monachisme étant l’infirmité de l’humanité hors la grâce. Un moine n’est pas un héros, ce n’est pas par sa volonté qu’il parvient à sa fin, mais dans l’idée même de laisser faire Dieu… »

Vous voyez, frères et sœurs, même si vous n’habitez pas dans un monastère, il y a certainement un petit moine, une petite moniale qui sommeille en vous. Et savoir que l’échec lui-même est souvent un passage obligé pour grandir sur notre chemin de baptisé peut nous réconforter. Ces échecs sont variés, ce peut être son mariage qu’ont n’a pas réussi, un appel à la vie religieuse qu’on a détourné, des enfants auxquels on veut trop diriger l’avenir et qui nous échappent, bref, chacun au fond de soi connaît ses échecs mais connaissons-nous que aujourd’hui, par la croix, ces échecs peuvent être source de vie ?

"Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive… Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi et de l'Evangile la sauvera». Dans ces paroles de Jésus se trouve la conclusion pratique de la fête.

Finalement, nous vénérons dans la croix non pas tant le bois du supplice que l’arbre de la vie, à nouveau verdoyant au cœur du monde. Signe de victoire, la croix enferme dans ses bras le monde et brise les portes de l’enfer. C’est l’expérience de plus en plus immédiate du Transfiguré et du Ressuscité qui fait jaillir un tressaillement de joie pascale. C’est le mystère du sépulcre scellé et éclaté d’où jaillit la vie éternelle. Nos frères arméniens ont su merveilleusement rendre ce mystère dans leur croix sculptées, qu’ont appelle les ‘Katchkars’, rayonnantes de bourgeons, de feuilles, de fleurs.

Inspirée du traité sur la Pâque de St Hippolyte de Rome, une ancienne homélie anonyme nous à laisser la même vision, elle dit ceci :

« Jésus a montré en sa personne toute la plénitude de la vie offerte sur l’arbre de la croix… Cet arbre m’est une plante de salut éternel ; de lui je me nourris, par ses racines je m’enracine et par ses branches je m’étends, sa rosée fait ma joie et son souffle me fertilise… Je jouis librement de ses fruits qui m’étaient destinés à l’origine. Il est ma nourriture quand j’ai faim, ma source quand j’ai soif, mon vêtement car ses feuilles sont l’Esprit de vie… »

Après tout ce que nous venons de dire sur la croix, il faut que nos ‘signes de croix’ que nous faisons nombreux dans l’orthodoxie ne soient pas un geste machinal. Le simple signe de la croix est une prière du corps et de l'esprit, il est le rappel du baptême. Prière gestuée, le signe de la croix me permet de faire "mémoire du salut que le Christ m'a donné" et me "rappelle le peuple auquel j'appartiens". Dans ce geste, "c'est toute la misère du monde qui repose sur moi, transfigurée et transformée en délivrance et en salut.

Cette fête est aussi un rappel que nous devons porter mutuellement nos croix, nous devons avoir de la compassion pour chacun de nos frères et sœurs qui peinent sous leur croix au lieu trop souvent de juger, critiquer une situation que nous ne voyons pas entièrement. Porter nos croix les uns les autres c’est l’occasion de témoigner de la tendresse de Dieu, véritable ‘but’ de notre vie chrétienne.

Père Antoine

 

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