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Homélie de Père Antoine, 21 septembre 2014 en l'église saint Basile et saint Alexis - 15ème dimanche après la Pentecôte, Mt XXII,35-46.
L’épisode de l’Evangile que nous venons d’entendre prend place dans une série de discussions ou controverses entre Jésus et d’autres juifs de son temps. La question qui est ici posée par un docteur de la Loi entend mettre Jésus à l’épreuve ; mais la réponse de Jésus n’a rien de polémique, elle est plutôt pour lui l’occasion de donner un enseignement majeur qui nous fait accéder au cœur même du message évangélique.
Demandons-nous : Où donc est la nouveauté de l’enseignement apporté par Jésus ?
Elle est d’abord dans le fait que Jésus, précisément, associe ces deux commandements qui dans les Ecritures étaient formulés en deux passages bien distincts. Personne ne l’avait fait avant lui. Certes il y avait bien des textes de la Bible qui exhortaient à se soucier du prochain mais personne, avant Jésus, n’avait directement lié les commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain. Jésus reconnaissait assurément que l’amour de Dieu était « le grand, le premier commandement » ; mais il lui associait aussitôt le second, celui de l’amour du prochain, en allant même jusqu’à présenter ce second commandement comme « semblable » au premier.
Voilà la première nouveauté de l’enseignement de Jésus, et elle est d’une immense portée. Elle ne signifie évidemment pas que l’un et l’autre commandement soient du même ordre : aimer Dieu de tout son cœur et de toute son âme, cela veut dire avant tout s’attacher à Dieu comme à Celui qui est notre Créateur et Seigneur, l’adorer de tout notre être, s’en remettre à lui de manière exclusive (c’est-à-dire en renonçant du même coup à se prosterner devant des idoles) ; aimer son prochain comme soi-même, cela veut dire : faire pour notre prochain ce qui est important pour lui, se donner à lui de la même manière que nous prenons soin de nous et de notre propre vie. Et pourtant, même si ces deux commandements ne sont pas du même ordre, Jésus nous dit bien du second qu’il est « semblable » au premier. Car ce qui est impliqué par l’un comme par l’autre, c’est la même disposition fondamentale qui consiste à aimer, c’est-à-dire à se donner, et selon l’Evangile on ne se donne pas vraiment à Dieu si l’on ne se donne pas aussi à son prochain ; c’est ce que reprendra la première épître de Jean : « Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu” et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas. Oui, voilà le commandement que nous avons reçu de Lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4, 20-21).
Il y a quelques années, je me trouvais un jour dans le métro à Paris pour assister à une réunion diocésaine. Il y avait, assises en face de moi, deux jeunes femmes en train de discuter : les cheveux de toutes les couleurs, peinturlurées, des bagues, des piercings et des tatouages, etc. Puis une jeune femme est montée avec un bébé, qui a commencé à mendier en racontant son histoire à la cantonade. Je l’avais déjà repérée, si bien que j’ai baissé les yeux et fermé mon cœur. Les deux jeunes femmes en face de moi continuaient à discuter, mais toutes deux ont mis la main à leur poche et ont fait une aumône ! Je me suis soudain rendu compte que j’étais du côté du prêtre et du lévite et qu’elles étaient, elles, avec le Bon Samaritain ! Non seulement j’avais endurci mon cœur, mais aussi j’avais des préjugés… Il n’y pas de commentaire à faire, je vous partage simplement mon ce qui m’est arrivé pour bien montrer que notre prochain, il est partout et pas seulement où on voudrait qu’il soit.
Il y a une autre nouveauté dans l’enseignement de Jésus. Il ne dit pas seulement que le second commandement est semblable au premier ; il ajoute : « Tout ce qu’il y a dans l’Ecriture – dans la Loi et les Prophètes – dépend de ces deux commandements. » Et là encore c’est une parole d’une immense portée. D’abord elle nous donne une clef pour lire les Ecritures anciennes ; il arrive certes qu’on soit surpris par certains textes de l’Ancien Testament qui invitent à se venger des ennemis, ou qui donnent du Seigneur l’image d’un Dieu justicier et guerrier, mais c’est alors qu’il faut se rappeler la parole de Jésus : tout doit en réalité se comprendre à partir des deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain (et donc, si nous reprenons par exemple des versets de psaume où l’on demande à Dieu de châtier les ennemis, il faut entendre cela dans un sens spirituel : nous demandons que Dieu, qui est amour, nous délivre des esprits mauvais qui nous empêchent d’aimer). Mais la parole de Jésus nous révèle plus encore ce que Jésus lui-même a vécu : si tout, dans l’Ecriture, dépend des deux commandements, il devient clair que Jésus – qui précisément a accompli les Ecritures – a lui-même répondu en toute perfection à l’exigence de ces deux commandements ; il a aimé son Père de tout son cœur et de toute son âme, accomplissant jusqu’au bout la mission qu’il recevait de lui ; il a aimé son prochain jusqu’au bout – son prochain, c’est-à-dire toute l’humanité, pour laquelle il est allé jusqu’à donner sa vie sur la croix ; cette croix que nous avons célébré dimanche dernier et dont la fête se termine aujourd’hui.
Et si toute notre vie devait dépendre, à son tour, de ces deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain… C’est bien là, en effet, notre vocation de baptisés. Nous sommes appelés à nous détourner des idoles, à adorer Dieu comme notre Seigneur, à l’aimer par-dessus tout ; nous sommes en même temps appelés à aimer notre prochain comme nous-mêmes, et à savoir le manifester quand l’occasion nous en est donnée – que ce soit par une parole, par un geste, ou par notre simple présence. Cette seconde exigence est semblable à la première, et tout dans nos vies doit dépendre de ces deux commandements : alors seulement nous serons en vérité disciples du Christ, alors seulement nous serons les enfants de Dieu – car Dieu est amour, et c’est de Lui seul que nous pouvons recevoir la force de l’aimer de tout notre cœur et d’aimer notre prochain comme nous-mêmes.