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Homélie de Père Antoine, 19 octobre 2014 - 19ème dimanche après la Pentecôte, Luc VI,31-36
Après les débuts de son ministère public en Galilée, après les premiers miracles et les premiers enseignements, après l'appel des disciples et l'institution des Douze, il semble que le long discours clôturant le sixième chapitre de l'Évangile selon saint Luc dévoile le cœur de l'enseignement nouveau du Christ. Aux foules rassemblées par l'autorité des prodiges et des hauts faits de l'homme de Nazareth, un enseignement est donné qui sonne comme un éclair dans le ciel pharisien.
L'amour des ennemis est le nœud de cet enseignement nouveau. C’est la règle d'or « Faites à autrui ce que vous voudriez qu'on vous fît » Lc 6, 31. À première vue, il faut lire le début de la péricope de ce jour à partir de la finale elle-même : « Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux » Lc 6, 36.
Dans ce discours inaugural, le Christ donne un contenu à cette sainteté en la chargeant du poids de la miséricorde du Père. Miséricorde du Père, plus que du Juge. Miséricorde médicinale plus que judiciaire. Miséricorde débordante : « Donnez et l'on vous donnera ; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu'on versera dans votre sein ; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour » c’est le verset suivant la péricope de notre texte. Quelle surabondance du don et du pardon !
Mais c’est un enseignement difficile !
L'amour des ennemis est une expression de cette surabondance de la charité divine qui ne cherche pas son intérêt. L'enseignement sur cet amour pousse à l'extrême le scandale apparent : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous diffament… » (Lc 6, 27b-28). Parmi les disciples, premiers auditeurs de ces paroles, nous sommes presque étonnés de ne pas entendre de questions, de réprobations, voire de prise de distance. Ce qui ne manquera pas de se produire plus tard : « Cette parole est dure, qui peut l'écouter ? » (Jn 6, 60).
Et de fait, la visée de l'enseignement du Maître de Galilée semble bien obscure si l'on en reste… aux frontières de la Galilée. C'est bien à Jérusalem, plus précisément en dehors des remparts de la ville que cet enseignement déploie toute sa signification. Celui qui se laisse arrêté dans le jardin de Gethsémani, celui qui se laisse librement condamné, injustement flagellé, celui qui consent à ce que ses mains et ses pieds soient réduits à l'inactivité sur l'instrument de supplice, Celui-ci devient l'épiphanie de cet enseignement si difficile. Dans son mystère pascal, il devient l'icône de la miséricorde du Père, l'amour incarné des ennemis : l'icône de l'amour des ennemis !
Les sentences des Pères du désert sont nombreuses sur l’amour des ennemis, je vous en donne seulement une :
« Abba Paissios priait pour un de ses disciples qui avait rejeté le Christ, et, pendant qu’il priait, le Seigneur lui apparut et dit : " Paissios, pour qui pries-tu ? Ne sais-tu pas qu’il m’a renié ? " Mais le saint continuait d’avoir compassion de son disciple, et alors le Seigneur lui dit : " Paissios, par ton amour tu t’es assimilé à moi. " C’est ainsi que nous trouvons la paix, et il n’y a pas d’autre voie. »
Et Saint Silouane en a aussi beaucoup parlé de l’amour des ennemis, il disait :
« Celui qui n’aime pas ses ennemis
ne peut connaître le Seigneur
ni la douceur de l’Esprit Saint ».
« Si nous prenons l’habitude de prier de tout notre cœur
pour nos ennemis et de les aimer,
la paix demeurera toujours dans nos âmes ».
Aujourd’hui, jour de catéchèse, il y a beaucoup d’enfants. J’ai une histoire pour eux pour leur faire comprendre l’amour des ennemis :
« Un jour un moine sortit de son monastère pour aller régler certaines affaires. Une fois sa mission terminée, il prit le chemin du retour. Mais il se perdit en route. Que faire ?... Il se mit donc à prier. " Mon Dieu, dit-il en lui-même, viens à mon secours ! "
Peu de temps après il rencontra des passants et leur demanda de le remettre dans la bonne direction. " Fort bien, lui répondirent-ils, suis-nous. " Mais ces hommes étaient des bandits et le voyant seul, ils n'avaient qu'une seule idée en tête : comment le voler ?
Le moine comprit qu'il s'agissait de cela mais il ne dit mot. Seulement il priait Dieu de lui venir en aide.
La marche fut très longue jusqu'au moment où ils arrivèrent devant une large rivière. Ils décidèrent une halte. Les brigands se mirent à parler entre eux tandis que le moine continuait sa prière à l'écart. L'heure tournait. On décida de repartir.
Mais voici que de l'eau surgit un énorme crocodile qui bondit vers un des malfaiteurs. Il fut saisi d'une telle frayeur qu'il en resta cloué sur place. C'est alors que le moine, qui n'avait rien perdu de sa paix intérieure, prit son élan juste à temps pour le sauver de l'énorme gueule qui s'apprêtait à le happer.
Sur ce, le crocodile s'en alla sans faire le moindre mal à ce méchant homme. Celui-ci, ému par la bonté du moine, tomba à ses pieds et lui demanda de lui pardonner le mal qu'il s'apprêtait à lui faire : " J'avais l'intention de te tuer pendant la traversée de la rivière, confessa-t-il, mais ton amour, ô moine, fut plus prompt. "
L'homme de Dieu remercia son Seigneur de Sa protection tandis que le bandit le suppliait maintenant de le garder auprès de lui. Il en fut ainsi et il devint un excellent novice.
Ils vécurent longtemps ensemble dans le désert et en toute occasion il n’hésitait pas à se souvenir de la façon merveilleuse dont ils avaient fait connaissance ».
D'après le GERONTIKON pour les enfants Ed. CHRYSSOPIGI Athènes 1996 P : 28-30
Père Antoine