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Homélie de Père Antoine, 18 janvier 2015 en l'église saint Basile et saint Alexis - 32ème dimanche après la Pentecôte, Lc XVIII,35-43.
Il veut voir ! Il n’en peut plus de l’obscurité ! Et quand on lui dit que Jésus passe, il sait, sans hésitations, que l’heure de la lumière est venue.
La vision tient une grande place dans la tradition Juive, puis Chrétienne : dans le même évangile de Luc, Syméon, à la vue de l’enfant Jésus, dit qu’il peut désormais s’en aller dans la paix car il a vu le salut que Dieu prépare à la face des peuples ; les aveugles recouvrant la vue est un des signes énoncés par Jésus pour manifester l’arrivée du Royaume ; enfin, deux siècles plus tard, Irénée de Lyon dira que « la gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ».
La vue est le sens qui nous permet d’appréhender le monde avec une juste distance et donc de le comprendre. Ne dit-on pas, en français : « je vais voir » pour « je vais réfléchir » et « je ne vois pas » pour dire « je ne sais pas, je ne comprends pas » ? Ainsi, pour mieux comprendre un tableau, une œuvre d’art, on va, alternativement s’approcher pour voir les détails, puis prendre du recul, pour saisir l’ensemble. Mais si on s’approche trop près ou s’éloigne de trop, on ne distingue plus rien soit de l’ensemble, soit des détails. La vue est donc le sens de la juste distance.
Pas étonnant, qu’il soit celui qui nous permette de vivre en société de manière ajustée, ne serait-ce que pour se déplacer, voir la beauté du monde, reconnaître le visage de ceux qu’on aime, percevoir leurs sentiments en voyant leur visage ou bien se révolter de l’injustice et voir, c’est-à-dire être touché par les pauvretés de ce monde.
Pour voir, il faut aussi de la lumière ! Et dans l’évangile, cette lumière, c’est le Christ. En guérissant l’aveugle, il ne lui rend pas seulement ses yeux, il lui rend la possibilité de vivre avec les autres, il lui rend sa dignité de fils de Dieu.
L’aveugle est à l’écart de la ville, pour deux raisons : la première est l’incapacité physique à travailler et qui le condamne à la mendicité. La seconde est la dimension symbolique de son handicap : pour un certain nombre de Juifs, encore à l’époque, le handicap de naissance est une punition divine conséquence du péché, soit de la personne qui porte le handicap, soit des parents.
En rendant la vue à cet homme, Jésus pose le signe que le péché ne sera pas vainqueur de l’homme si celui-ci se met à sa suite, mais aussi que Dieu s’intéresse en tout premier à ceux que la vie abime, qui sont isolés, qui n’ont pas de statut social.
La première préoccupation de Dieu, c’est la vie de l’homme, parce que c’est sa gloire. En rendant la vue à l’homme et en lui permettant de le voir, il le fait rentrer dans la connaissance intime de sa vie divine.
Mais il ne faudrait tout de même pas perdre de vue une chose : « l’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur », dit Antoine de Saint Exupéry dans le Petit Prince. Il y a l’audace de cet aveugle, qui au nom de Jésus, sans aucune hésitation, crie sa détresse vers lui, confiant que le jour de la clarté retrouvée est arrivé ! Beaucoup veulent le faire taire, par bienséance sociale, ou bien prisonniers d’une hiérarchie sociale trop forte : comment un mendiant pourrait-il déranger le Maître, surtout en hurlant de la sorte ?
Mais sa foi l’a sauvé : avant même de voir Jésus avec ses yeux, son cœur l’avait reconnu ! Jésus n’a fait qu’imprimer dans son corps ce que l’intime de son être avait déjà saisi !
Que cette même grâce nous soit accordée aujourd’hui !
Seigneur, Jésus-Christ aie pitié de moi ! Vous aurez remarqué que ce cri de l’aveugle de Jéricho est exactement la formule qui va devenir ce que nous appelons dans la spiritualité orthodoxe « la prière de Jésus ». Cette prière si simple, si pauvre, disons qu’elle demande un cœur de pauvre, est arrivée jusqu’à nous en passant par les premiers moines du désert d’Egypte. Elle est reprise encore aujourd’hui dans toutes nos nombreuses litanies. Elle a fait le succès du Pèlerin russe. Elle demeure au cœur de notre spiritualité. Il est toujours bon de se le rappeler.
Que cette prière, mes bien-aimés, vous habite tous. Qu’elle soit toujours votre compagne dans tous les moments de votre vie, dans les moments difficiles mais aussi dans les plus faciles. Qu’elle soit votre réconfort, votre joie, votre bonheur.