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Homélie de Père Antoine, en l'église saint Basile et saint Alexis, le 17 janvier 2016, jour de la saint Antoine.
La liturgie célèbre le 17 janvier saint Antoine le grand, fondateur du monachisme chrétien. C’est mon saint Patron et je ne peux passer l’occasion de vous parler de lui ce matin. Notre église orthodoxe aime beaucoup les saints pour se stimuler par leurs exemples. Et Antoine est l’un d’eux et pas des moindres.
Il naquit en Égypte en 250, aux environs de Memphis. Il meurt en 355, il a 105 ans.
Il est bien connu cet épisode de la vie d'Antoine raconté par St Athanase : Antoine entre dans une église, c’est la lecture de l’évangile, il entend lire l'appel du Christ au jeune homme riche « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi » (Mt. 19,21). Il est bouleversé et aussitôt il va appliquer à la lettre ce qu’il vient d’entendre : il vend l'héritage familial, il s'occupe aussi de caser sa petite sœur, et puis, il s'en va. Il suit le Christ de la façon la plus abrupte et la plus radicale qui soit, et c'est ce qui en a fait le "Père des moines. C'est la première figure, il y en a peut-être eu avant lui, mais les autres n'ont pas eu la chance d'avoir Athanase comme biographe, Athanase le célèbre archevêque d’Alexandrie, et qui avait un service publicitaire absolument extraordinaire, et c'est Antoine qui a remporté la palme, c'est le Père des moines. On peut préciser qu’Athanase et Antoine sont contemporains et amis.
Pour inciter les moines à l'ascèse, dira Athanase, c'est un exemple suffisant que la vie d'Antoine.
Mais d’Antoine on a peut-être trop retenu de lui, la solitude, l’ascèse très musclée et les tentations extraordinaires qu’il a pu traverser ainsi que ses visions du diable. Et du coup il nous est devenu presque inaccessible, du moins plus lointain mais j’aimerais ce matin faire ressortit au contraire l’un ou l’autre aspect qui nous le rend très proche et imitable.
Né d'une famille aisée, vers 250, mais orphelin dès l'âge de dix-huit ans… Antoine entend la parole de Dieu à l’église, et on sait la suite déterminante qu’il va lui donner… La vocation même d'Antoine, par son caractère éminemment évangélique, a valeur d'exemple. La parole de Dieu, proclamée dans la célébration liturgique, atteint Antoine comme une interpellation directe, personnelle, du Seigneur. C’est certainement le premier exemple que nous pouvons retirer pour nous aujourd’hui encore. Demandons-nous : quel intérêt je porte à l’évangile, est-ce que je fais l’effort d’être à l’heure à la divine Liturgie pour écouter, entendre sa proclamation ?
Est-ce que je suis capable de me laisser toucher la Parole sainte ?
Antoine se met ensuite à l'école des ascètes du voisinage, se forme près d’eux. Sur cette formation, Athanase précise : « Il s’instruisait auprès des anciens de la vertu et de l’ascèse propre à chacun. Il contemplait dans l’un l’amabilité, dans l’autre l’assiduité à la prière. Chez celui-ci il voyait la patience, chez celui-là la charité envers le prochain ; de l’un il remarquait les veilles, de l’autre l’assiduité à la lecture ; il admirait l’un pour sa constance, l’autre pour ses jeûnes et son repos sur la terre nue. Il observait la douceur de l’un et la grandeur d’âme de l’autre ; chez tous il remarquait à la fois la dévotion au Christ et l’amour mutuel ». Bref, nous avons là un autre exemple : Voir uniquement les bons côtés de ceux qui nous entourent. Et faire son miel de toutes les valeurs positives qui nous entourent.
Athanase, champion de la lutte contre l'arianisme, a fortement insisté sur le combat spirituel incessant qu'Antoine dut mener contre Satan, et sur les victoires que le Christ remportait en lui. Cette puissance victorieuse du Christ qui se manifestait à travers son serviteur n'était-elle pas une preuve éclatante de sa divinité ?
C'est dans le même esprit qu'Athanase décrit le rayonnement charismatique d'Antoine, la beauté spirituelle qui émanait de sa personne transfigurée par la grâce et qui attirait autour de lui disciples et quémandeurs. Antoine mourut âgé de 105 ans, dans la montagne au pied de laquelle s'élève encore le monastère qui porte son nom.
Ses disciples menaient une vie semi-anachorétique dans des cellules relativement peu éloignées les unes des autres, se réunissant périodiquement pour célébrer la liturgie et pour des conférences spirituelles.
D’autres groupements de ce genre se constituèrent du vivant d'Antoine; celui-ci résidait habituellement sur sa montagne, à l'écart, et descendait de temps à autre visiter ses "monastères".
Saint Athanase, dans sa Vie d’Antoine nous montre Antoine en homme qui a tout misé sur le Christ. Un homme amoureux du Christ, son unique trésor pour lequel il a tout vendu. Un homme qui dans la lutte contre les tentations mettait le Christ dans son cœur. Un homme dont l’ultime testament laissé à ses frères a été : « Respirez toujours le Christ, croyez en lui, vivez chaque jour comme si vous commenciez ».
Saint Antoine, en effet, a insisté sur ce moment présent. C’est à lui qu’on attribue cette prescription de faire de chaque jour comme s’il commençait : ‘aujourd’hui, je commence’, répétait-il. En effet, Antoine avait, dirions-nous, la spiritualité du moment présent, de l’aujourd’hui de la conversion. Il faisait remarquer qu’il ne faut pas mesurer le chemin de la vertu, ni la retraite en vue de la vertu.
Lui-même, nous dit toujours Athanase, ne se souvenait pas du temps passé, mais jour après jour, comme s’il débutait dans l’ascèse, il s’efforçait davantage au progrès, se répétant continuellement le mot de saint Paul : « oubliant ce qui est derrière moi, et me portant de tout moi-même vers ce qui est en avant, je cours droit au but ». Il se souvenait aussi de la parole d’Elie : ‘le Seigneur est vivant devant qui je me tiens aujourd’hui’ Et Antoine fait remarquer qu’en disant aujourd’hui, Elie ne comptait pas le temps passé.
Par ailleurs, Antoine père du monachisme n’a jamais été prisonnier d’une loi, d’une règle, d’une clôture, de principes mais il s’en est libéré pour devenir libre et tout son enseignement vise justement à la libération.
Dernièrement, en relisant ses apophtègmes (sentences) d’Antoine, j’ai été vraiment étonné de voir comment Antoine donnait ses leçons de liberté.
Il y a l’épisode bien connu, du chasseur qui s’étonne de voir Antoine se détendre avec les frères… et Antoine d’inviter le chasseur à tendre son arc le plus possible pour lui faire dire : non, il y a une limite autrement l’arc va se briser… Antoine nous apprend par-là qu’il faut savoir s’arrêter, se reposer pour reprendre des forces et que les règles qui mesurent la trame de la vie monastique sont une bonne chose en soi, mais avec le danger pour le rigoriste, le maniaque de l’observance, l’idéaliste assoiffé de perfection d’y trouver une sécurité trop facile…. Retenons encore l’humanité d’Antoine ; dans cet apophtègme, il nous dit par deux fois qu’il faut condescendre aux frères.
Condescendre, c.à.d. descendre au même niveau. Dans ce seul mot ‘condescendre’ il y a toute la pédagogie d’Antoine, c’est une grande leçon encore pour nous aujourd’hui.
Chez Antoine, rien d’impératif, de dur, d’autoritaire mais une condescendance, un renvoi à la liberté de chacun. Avouons-le, s’en est déroutant mais c’est là précisément qu’Antoine pouvait laisser transparaître et communiquer le Christ dont la présence était devenue si manifeste en lui. Le Christ qui en s’incarnant a condescendu, condescendu jusqu’à l’homme, jusqu’au fond de sa pauvreté. Antoine nous apparaît comme un témoin très moderne de la miséricorde de Dieu.
Avec Antoine et tout le monachisme ancien, il nous faut retenir la formation au discernement. La grande pédagogie des Pères du désert à travers leurs savoureux apophtègmes est surtout de faire le tri dans ses pensées. C’est-à-dire analyser quels sont les mouvements de son cœur, ceux qui peuvent le libérer et ceux qui le retiennent prisonnier. Les Pères du Désert sont les premiers psychanalystes, j’ajouterai : ‘chrétiens’ ! Antoine est donc avant tout un père spirituel plein de douceur et remplit de l’esprit de discernement. Il était, dit Athanase le plus doux des hommes.
Il y a encore beaucoup de choses à dire sur saint Antoine. On va en rester là pour aujourd’hui. Je terminerai en reprenant les vœux qu’Antoine formule lui-même pour ses frères dans sa 6è lettre :
« Que la folie du Christ soit votre sagesse, que la pauvreté du Christ soit votre richesse, que sa faiblesse soit votre force. Qu’il opère en nous sa résurrection et mette en route celui qui détenait les clefs de la mort. »
Antoine vous salue, chers frères dans le Seigneur : la joie soit avec vous. »