Vous êtes ici : lettres > un mot de Père Lambert

Une iconostase ouverte ?

avec les ornements noirs du carême

Pourquoi une iconostase ouverte ?

Une Iconostase ouverte telle que nous l'avons actuellement dans notre église à Nantes, peut surprendre. Il y a des gens parmi nous qui diront : Pourquoi pas une Iconostase comme " chez nous " ? Pourquoi pas une Iconostase " traditionnelle " ? (note 1Il est important de constater dès le début qu'il n'y existe pas une Iconostase " type ", commune à toutes les traditions orthodoxes. Ainsi on trouve en Grèce des Iconostases beaucoup plus basses et ouvertes que par exemple en Russie où l'Iconostase est très développée avec 5 rangées d'Icônes. Plus loin dans cet article nous verrons également que cette Iconostase, dite " traditionnelle ", n'existe que depuis quelques siècles et qu'avant l'Iconostase était beaucoup plus ouverte, voir même qu'il n'y avait pas du tout d'Iconostase.)

Ce que l'on veut dire avec " une Iconostase traditionnelle " est une Iconostase haute avec des portes et des rideaux qui renferment le Sanctuaire. Une telle Iconostase cache ce qui se passe dans le Sanctuaire, elle " voile " ce qui est Saint.

Ceci fait référence à l'Ancien Testament où nous lisons par exemple que Dieu dit à Moïse, allé à la rencontre de Dieu sur la montagne dans le Sinaï : " tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre " (Exode, 34, 20). Du coup, Moïse Le voit " de dos " (Exode 34, 22) ou bien Le rencontre " dans une épaisse nuée " (Exode 19, 16).
On ne peut pas voir Dieu et on voile donc sa Présence sur l'Autel par un voile, un rideau. C'est ce que nous retrouverons dans " la Tente ", le sanctuaire des Hébreux pendant leur 40 ans dans le désert : Dieu prescrit de mettre " un rideau " pour cacher " l'Arche du Témoignage ", le lieu de Sa Présence. Et Dieu dit : " le rideau marquera pour vous la séparation entre le Saint et le Saint des Saints " (Exode26, 31-33). Il y a " séparation " puisque nous ne pouvons pas " connaître " Dieu : l'Autre est toujours " tout autre " que nous pouvions L'imaginer.
C'est ainsi depuis la chute, depuis que l'homme a perdu le Paradis. Là, il était en permanence avec son Dieu. Maintenant il y a un abîme entre Dieu et l'homme. L'homme ne peut plus entrer en communion avec son Dieu. Il Le recherche et monte des sanctuaires, comme la tour de Babylone et tous les Temples de tous les temps, mais n'arrivera plus jamais à retrouver le lien intime qui le liait avec Dieu à l'origine.

Tout ceci a toutefois changé avec le venu du Christ dans le monde.
Dans le Christ Dieu " S'est montré " dans une face humaine. Il S'est fait homme et a depuis un visage humain. Nous pouvons désormais Le " voir ".
Alors, Dieu Se laisse " connaître ". Pas dans son " esse ", son " être " (essence), mais dans " Sa présence " qui sauve l'homme, qui lie l'homme à sa source divine, qui restaure l'homme dans sa vocation de vivre en Dieu. Dieu se fait alors connaître dans l'amour, dans la joie véritable, qui guérit, qui fait vivre, qui uni les gens et surmonte toutes les divisions. Et dans une personne qui incarne cela : le Christ-Jésus.
Dans le Christ Dieu s'unit à l'homme de la manière la plus intime, en devenant homme. Il n'y a donc plus d'abîme entre Lui et nous. Au contraire, désormais il y a " communion ".

L'Iconostase haute a donc bien des racines dans la foi de nos pères d'avant le Christ. Mais elle risque de nier ce qui a changé dans le Christ : qu'il n'y a plus " séparation ".

Toutefois, il y a eu des théologiens comme Léonid Ouspensky et Paul Evdokimov (note 2Evdokimov, P., L'Art de l'Icône, Théologie de la beauté, Desclée de Brouwer, 1970 et Ouspensky, L., Theology of the Icon, New York, 1978 et " La question de l'iconostase " dans Messager de l'Exarchat du Patriarche Russe en Europe Occidentale, no 44, 1963, pp. 240-243 (en russe).) qui ont dit que dans l'Iconostase il ne s'agissait pas de " séparation " mais au contraire d'un témoignage de cette nouvelle communion, puisqu'elle y fait entrer par les Icônes mêmes.

Et en effet, l'Icône -surtout le prototype de toute Icône, celui du Christ Sauveur- montre Dieu dans la forme dans laquelle Il s'est montré, celle d'un homme à la fois comme nous et dans le même temps image parfaite de Dieu, plus encore, incarnation de Dieu. C'est dans cette forme qu'il nous est permis de Le " voir ".
L'Icône nous révèle Dieu dans Sa Présence salvatrice, nous fait " connaître " Dieu comme Il S'est fait connaître. L'Icône -et surtout celle de la Mère de Dieu- nous fait entrer dans cette réalité nouvelle, paradisiaque où Dieu et l'homme ne sont pas séparés, mais unis, en communion.

On pourrait ainsi dire que les Icônes de l'Iconostase révèlent dans une forme visible ce qui se passe invisiblement sur l'Autel : le Christ y vient présent, nous y communions en Lui, mais ceci dans une forme -pain et vin- qui est destinée à la nourriture et non à l'observation. Nous ne " voyons " pas le Christ dans les Saints Dons, nous Le " goûtons ". A travers l'Icône par contre nous Le voyons.

Il n'y a donc pas opposition possible à mettre des Icônes entre la nef et l'Autel. Mais faut-il pour autant des portes et des rideaux ?

Quand le Christ meurt, le rideau du Temple se déchire : " Le voile du Sanctuaire se déchira par le milieu " (Luc 23, 45-46).

Si nous reprenons alors un peu l'histoire de notre liturgie et des édifices religieuses, nous voyons dès le Ier siècle que les chrétiens se réunissent tout simplement dans la joie de la Présence de Dieu. Ils se réunissent en se mémorisant ce qu'ils se rappelaient de la vie de leur Seigneur (plus tard ils lisaient les lettres de Saint Paul et encore plus tard les Evangiles). Ils fêtaient la mémoire de leur Seigneur en partageant le pain et le vin (au début c'étaient des simples repas qui petit à petit étaient ritualisés). Dans tout cela, ils savaient le Christ parmi eux.
Au début, ils n'avaient pas des rites propres et dans la plupart des cas pas de lieu de culte, se réunissant chez les uns et les autres (surtout là où ils vivaient une sévère persécution).
Quand les premières églises sont apparues au IIe siècle (ici et là où les chrétiens vivaient leur foi librement), il n'y avait pas d'Iconostase du tout.
De celle-ci, nous trouvons les premiers germes au IVe siècle, au temps des Pères de l'Eglise (peut-être un peu plus tôt). C'était une " cloison transparente ". Il s'agissait généralement d'une balustrade de pierre ?u de marbre, peu élevée, ou de plusieurs colonnes avec templon ou encore de l'architrave qui se trouvait entre le nef et l'abside que l'on surmontait d'une croix. Ceci symbolisait, d'après Elisabeth Behr-Sigel une " distinction sans séparation en même temps que la rencontre, dans la Liturgie, du monde céleste, éternel, et du monde terrestre, éphémère " (note 3E. Behr-Sigel, " Reflexions sur l'Iconostase " à propos de Martin Winkler "Les Jours de Fêtes" Collection "Le Monde des icônes". Ed. Ides et Calendes, Neuchatel (Suisse), http://www.myriobiblos.gr/texts/french/contacts_sigel_iconostase.html.) . L'Archiprêtre Nicolas Osolin parle d'une " limitation " entre l'Autel et le nef " comme 'jonction - articulation' et non pas comme division ou séparation" (note 4Nicolas Osolin, Des iconostases pour notre temps, http://orthodoxe.free.fr/files/iconostase.pdf.) .
Ce n'est qu'à partir des grandes luttes autour de l'Icône (Iconoclasme contre ceux qui défendaient l'Icône - VIIIe siècle) que des Icônes étaient fixées sur cette balustrade ou ces colonnes.
Et c'est bien après la XIIIe siècle que la grande Iconostase avec des Icônes jusqu'au plafond se développait en Russie pour se répandre dans toute l'Orthodoxie qu'à partir du XVIe siècle.

Notre Iconostase reprend donc la forme primitive de l'Iconostase du VIIIe siècle. C'est cette Iconostase également qui permet encore une concélébration du prêtre avec tout le peuple. Toute notre Liturgie est une Liturgie du " nous ", de tout le peuple, prêtre, diacre, lecteur, chœur et tous ceux présents. Dans notre paroisse nous célébrons la Liturgie le plus possible de façon à ce que chacun et chacune soit impliqué(e). Notre Iconostase ouverte va dans le même sens : nous célébrons " ensemble " la Liturgie, c'est " le Corps du Christ " qui s'y unit, le Corps du Christ dont le Christ est la Tête et nous tous, les membres.

Nous ne sommes pas les seuls à avoir une telle Iconostase. Depuis le XXe siècle un peu partout dans le monde, des théologiens orthodoxes et des communautés de fidèles orthodoxes, ont voulu retourner à ces anciennes traditions. Et d'ailleurs, il y a toujours eu des très anciennes églises qui à travers les siècles ont gardées leurs Iconostases ouvertes.

C'est ainsi que, tout en respectant ceux qui prient dans des églises avec grande Iconostase fermée, en admirant la grande piété que l'on y trouve et en reconnaissant la valeur théologique du " plan iconographique (note 5Il s'agit d'une Iconostase avec 5 rangées d'Icônes qui racontent / représentent toute l'Histoire Sainte.)" de ces Iconostases, nous avons voulu ici à Nantes, oser une Iconostase qui accentue le fondement de toute notre foi : que Dieu et l'homme se réunissent, Dieu devenu homme pour que l'homme puisse devenir comme Dieu, comme le disaient les Pères.

J'espère de tout mon cœur que tous, nous puissions " accueillir " cette Iconostase. Et qu'elle nous aide à prier, de nous approcher de Dieu, de communier en Lui pour vivre avec Lui et par Lui et en Lui.

Votre prêtre Lambert

1- Il est important de constater dès le début qu'il n'y existe pas une Iconostase " type ", commune à toutes les traditions orthodoxes. Ainsi on trouve en Grèce des Iconostases beaucoup plus basses et ouvertes que par exemple en Russie où l'Iconostase est très développée avec 5 rangées d'Icônes. Plus loin dans cet article nous verrons également que cette Iconostase, dite " traditionnelle ", n'existe que depuis quelques siècles et qu'avant l'Iconostase était beaucoup plus ouverte, voir même qu'il n'y avait pas du tout d'Iconostase.
2- Evdokimov, P., L'Art de l'Icône, Théologie de la beauté, Desclée de Brouwer, 1970 et Ouspensky, L., Theology of the Icon, New York, 1978 et " La question de l'iconostase " dans Messager de l'Exarchat du Patriarche Russe en Europe Occidentale, no 44, 1963, pp. 240-243 (en russe).
3- E. Behr-Sigel, " Reflexions sur l'Iconostase " à propos de Martin Winkler "Les Jours de Fêtes" Collection "Le Monde des icônes". Ed. Ides et Calendes, Neuchatel (Suisse), http://www.myriobiblos.gr/texts/french/contacts_sigel_iconostase.html.
4- Nicolas Osolin, Des iconostases pour notre temps, http://orthodoxe.free.fr/files/iconostase.pdf.
5- Il s'agit d'une Iconostase avec 5 rangées d'Icônes qui racontent / représentent toute l'Histoire Sainte.

 

mentions légales